L’Œil du souffleur… / Strictement Confidentiel    
Écrit par Franck-Olivier Laferrère
21 mai 2008

Faut-il être fou, ou perdu, à moins que ce ne soit totalement inconscient de la réalité de ce temps et de ce monde pour envisager, ne serait-ce qu’un instant, de publier du théâtre aujourd’hui ? Éditer du théâtre, contemporain qui plus est ?
-Vous êtes sonné mon pauvre ! pour le moins…
C’est ce qu’on pourrait, pardon… devrait dire à Jean-Michel Cornu, le patron des éditions L’Archange-Minotaure .

Du théâtre, des textes contemporains, dans cette France où à peine 3, 4% de la population fréquente encore ces lieux étranges dont on conserve, par devers soi, mais surtout par devers tout savoir récent, le souvenir désuet. Les ors vieillis de La Comédie Française, l’odeur des vieux tissus, des pendrillons aux couleurs passées, une scène aux lames grinçantes où déclament des vieillards fardés à la poudre de riz en cherchant à culbuter quelque jeunesse à la chair fraîche et à l’ambition débordante… Enfin, non, j’exagère… Il y a aussi Bigard et Danny Boon, Arthur et… (Qui osera se prononcer contre un bon lâcher de… ok, j’arrête…)

Ooops, pardon, j’allais oublier…Et John Malkovich, jeune metteur en scène au talent prometteur, découvert récemment dans une ruelle sombre d’un quartier populaire, mendiant sa soupe, l’œil avachi et le sourire narquois…(J’en profite pour signaler la goujaterie consommée de P.F Limbosch, grand décorateur, certes… récompensé du Molière du meilleur décor, certes encore, qui aura tout bonnement omis de citer l’atelier de construction qui a relevé le défi de cette réalisation ; ce décor pharaonique aux écrans vidéos géants et coulissants, ce parquet technique ingénieux et fonctionnel, bref… celui de Claude Pierson (salut les mecs, et encore chapeau, c’est bien le moins que je puisse faire, moi, d’ici…) (Sans parler des petites galères de dernière minute comme de devoir refaire tous les cadres des écrans parce qu’un idiot avait mal pris les cotes des portes du théâtre…bref…)

Ou cette ineptie… Terzieff (comédien merveilleux, la question n’est pas là, mais comment dire…) recevant l’année passée le prix de l’ADAMI  … merde… (50 000 euros…re-merde) À ce stade, encourageons les morts – Laurent Terzieff, ne vous méprenez pas, je vous aime, profondément… et d’aucuns verront sans doute là le signe que la jeunesse ne se perd plus désormais – mais tout de même, au travers de cette remise de bourse, c’est  l’état réel de nos institutions qui révèle, derrière la couche de vernis criard les fissures de sa propre déréliction. Maquiller une ruine comme on tire – plus fort que sur un élastique – les peaux avachies des vieux visages et des vieux culs qui n’en finissent pas de vouloir séduire comme, mythiquement, certains crurent y parvenir à leur premier printemps.

Oui, je suis bien d’accord, c’est à pleurer.

Si la profession voulait vous soutenir- ce à quoi je m’associerais volontiers – elle n’avait qu’à assumer ses choix en martelant la nécessité de renforcer les aides à la création… Dénoncer avec force le glissement qui s’opère vers l’aide à la diffusion socio-cul et le populisme… Ce genre de bricolage ne fait que conforter la crétinerie consommée d’une administration qui ne sait percevoir la création artistique autrement qu’en termes de service public et ce dans sa définition la plus inoffensive possible… et d’un public qui n’entend plus désormais que satisfaire sa soif inextinguible de divertissement… Mais soyons rassurés, il nous reste Morandini…

Entendons nous bien, Le Roi Lion est un beau spectacle musical et Malkovich a fait montre de quelques bonnes idées dans la mise en scène de Good Canary, la question n’est pas à poser en ces termes mais bien de la manière suivante : est-ce vraiment ce qui s’est fait de meilleur cette saison ? S’agit-il, au travers de ces remises de prix, de récompenser la création théâtrale ou le spectacle ? (La spectacularisation totale et définitive de la société ?) .

Devons-nous accepter que désormais seules seront saluées les grosses machines…au prorata de leurs investissements ?

La Chine est une grosse cliente… Fermons les yeux sur les quelques exactions que commet quotidiennement son gouvernement… Il faut savoir raison garder… Que vaut la vie d’un paysan chinois après tout ?

Pardon ? Il ne faut pas comparer ? Il ne s’agit pas d’une comparaison mais d’un lien… faire des liens, décloisonner… parfois cela peut s’avérer utile.

En fait vous avez raison, je m’en fous, il suffira l’année prochaine qu’un français change son nom, prenne un accent ricain de Brooklyn sud et adapte le Roi Lion en VF avec des chèvres et des Seguin…

À moins que je ne suggère une bonne thérapie de groupe de longue durée avec stage commando dans quelque jungle improbable remplie de tentatrices anthropophages à sexes dentés pour enfin circonvenir à ce complexe de l’ami d’Outre Atlantique… (Oui, ben non, l’institution n’est pas une femme mais un homme ultra-contemporain, sans poils, qui ne cesse de protéger sa bite avec ses mains manucurées de peur qu’on ne la lui vole. (Femmes libres je vous plains…si, si.) . (En même temps vous êtes de moins en moins nombreuses, donc tout va bien…)

Noter pour moi-même : la plongée prolongée d’un cerveau dans un bain de Q10 a des effets pervers.

Mais revenons à mon sujet initial… (ça craint, je fais une Franswa…)

Quel diable a donc réussi à pervertir l’esprit raisonnable et sensé de J.M. Cornu ?
En fait il ne s’agit pas d’un diable mais d’une diablesse… Astrid Cathala,  jeune femme que rien n’effarouche, comédienne, metteur en scène (Malko, chéri, prends garde à tes…) journaliste et, depuis deux ans, directrice de cette belle collection L’Œil du Souffleur…
« La femme est l’avenir de l’homme », je vais finir par le croire… À moins qu’il n’en ait aucun, le con, ce qui n’est pas impossible…

Collection née à son initiative il y a maintenant deux ans, qui soutient délicatement l’imaginaire de ses lecteurs par de fines et belles illustrations. (Gravures, photos…etc)

À son actif, déjà, Joseph Vebret , En Absence,  Richard Millet, Tombés avec la nuit, Frédéric Ferrer, Apoplexification à l’aide de la râpe à noix de muscade ou encore Serge Adam, État des lieux avant le Chaos…

Uniquement des contemporains, tous joués (si, je vous jure, il arrive même que l’on joue des auteurs vivants dans ce pays (pas plus de 47% selon l’une des dernières études du CNT…).) de beaux objets-livres, soignés, esthétiques, des textes choisis, forts, pertinents, qui renvoient à l’époque l’absurdité de ses croyances et la médiocrité de son culte consumériste.

Une belle collection, nécessaire, qu’il faut soutenir à toutes forces au milieu de la misère du temps…

Ps : cela m’amuse beaucoup de parler de théâtre en pleine quinzaine cannoise…

Mais peut-être que c’est ça, finalement, être dans la vraie actualité… qui sait ?

Mais aussi et surtout parce qu’écrire à propos, en écrire, en parler, y aller, en faire ou éditer du théâtre aujourd’hui c’est, concrètement utiliser des armes véritables contre la Société du Spectacle, c’est, en actes, résister à « l’isolement par la technique » en permettant que se créent ou se recréent les lieux de la rencontre, des espaces hors du temps des maîtres, là où penser, en mouvement et ensemble redevient non plus une hypothèse ou une utopie lointaine mais une possibilité accessible à chaque un… C’est prendre le parti de n’engendrer rien d’autre qu’une menace réelle au cœur-même du spectacle comme on enfonce un coin dans un tronc pour le faire éclater.

Franck-Olivier Laferrère